C’est une petite plaque noire scellée dans la terre, au fond d’un cimetière militaire de Berlin, sur une friche envahie de lierre et jonchée de pommes de pin. «À la mémoire des victimes de la domination coloniale allemande en Namibie, en particulier de la guerre coloniale 1904-1907», peut-on y lire, sans plus de détails.
De toute l’Allemagne, ce modeste mémorial est le seul qui rappelle le sort subi par les peuples Herero et Nama dans ce qu’on appelait alors «l’Afrique allemande du Sud-Ouest». Une histoire reléguée, comme cette plaque inaugurée en 2009 par la mairie d’arrondissement. Elle illustre la difficulté que l’Allemagne a eue à reconnaître sa faute dans l’extermination...
C’est une petite plaque noire scellée dans la terre, au fond d’un cimetière militaire de Berlin, sur une friche envahie de lierre et jonchée de pommes de pin. «À la mémoire des victimes de la domination coloniale allemande en Namibie, en particulier de la guerre coloniale 1904-1907», peut-on y lire, sans plus de détails.
De toute l’Allemagne, ce modeste mémorial est le seul qui rappelle le sort subi par les peuples Herero et Nama dans ce qu’on appelait alors «l’Afrique allemande du Sud-Ouest». Une histoire reléguée, comme cette plaque inaugurée en 2009 par la mairie d’arrondissement. Elle illustre la difficulté que l’Allemagne a eue à reconnaître sa faute dans l’extermination de deux peuples africains, longtemps perçue comme une tragique et lointaine anecdote de son histoire. Pour les chercheurs, il s’agit pourtant du premier génocide du XXesiècle.
Brutalité
En janvier 1904, les Hereros, privés de leurs terres et de leur bétail, se soulèvent contre les colons allemands. La répression est féroce mais ils résistent, emmenés par leur chef Samuel Maharero. L’empereur Guillaume II décide alors de remplacer le commandant militaire de la colonie, jugé trop diplomate, par le général Lothar von Trotha, réputé pour sa brutalité.
«Cette nation en tant que telle doit être anéantie», déclare von Trotha avant d’ordonner l’extermination des Hereros, décrétant que «dans les frontières allemandes, tout Herero avec ou sans arme, avec ou sans bétail, devait être abattu». Encerclés par les forces du Deuxième Reich, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants meurent de soif et d’épuisement dans les étendues désertiques de Kalahari, à l’est de la colonie.
Les survivants sont internés dans six camps de concentration, soumis aux travaux forcés et à des expériences scientifiques raciales. Chaque prisonnier est tatoué des lettres GH, «Gefangener Herero», prisonnier herero en français. Les Namas connaissent le même sort à partir de 1905. Lorsque cette politique d’extermination systématique prend fin en 1908, 80% des Hereros ont été tués, 50% des Namas.
Traité de réconciliation
Plus d’un siècle plus tard, l’Allemagne reconnaît enfin officiellement le génocide, dans un «geste de reconnaissance des immenses souffrances infligées aux victimes», a déclaré Heiko Maas, ministre des Affaires étrangères. Un traité de «réconciliation» avec la Namibie doit être présenté au parlement d’ici l’été. Et le président Frank Walter Steinmeier se rendra à Windhoek, la capitale namibienne, pour demander pardon.
Il aura fallu négocier six ans pour arriver à un accord. «Côté allemand, c’était compliqué, raconte Jakob Vogel, historien du colonialisme européen. D’abord, les officiers coloniaux ont agi de leur propre chef, l’ordre n’est pas venu de Guillaume II. Ensuite, s’il y avait bien eu volonté d’exterminer l’ennemi, ce n’est pas comparable à la Shoah, où l’Allemagne a industrialisé la mort.» Par ailleurs, Berlin refuse de payer des réparations aux descendants des victimes. À la place, seront versés sur trente ans 1,1milliard d’euros d’aides au développement aux régions où vivent aujourd’hui Hereros et Namas.
La déception des Hereros
Un compromis qu’Israël Kaunatjike, 74 ans, militant herero à Berlin, juge «inacceptable». «En plus du traumatisme, nous continuons de subir les conséquences économiques et sociales du génocide», argumente-t-il, persuadé que «les aides finiront dans la poche de politiciens corrompus». Les Hereros n’ont jamais pu récupérer leurs terres ni leur bétail. Ils sont très pauvres et ne représentent plus que 7% des Namibiens, contre 40% au début du XXesiècle.
«On ne peut pas comprendre le racisme sans remonter à ses origines, dont l’histoire coloniale fait partie»
En Allemagne, la reconnaissance du génocide est une priorité d’Angela Merkel, tant le sombre passé colonial du pays anime le débat public depuis quinze ans. «La recherche universitaire, l’intérêt médiatique et les initiatives militantes ont poussé à une prise de conscience, explique Jakob Vogel. On s’est rendu compte que même si on avait perdu ces colonies il y a longtemps, on a continué à entretenir nous aussi des relations néocoloniales.» Pour Christian Kopp, du collectif Decolonize Berlin, «on ne peut pas comprendre le racisme sans remonter à ses origines, dont l’histoire coloniale fait partie».
L’Allemagne, puissance coloniale
Largement méconnu, l’Empire colonial allemand s’étendait sur de vastes territoires africains, dans l’actuelle Namibie, le Cameroun, le Togo, le Rwanda, la Tanzanie, mais aussi dans le Pacifique et en Chine. Le chancelier Bismarck a fait du «Deutsches Reich» le troisième plus grand empire colonial du monde, jusqu’à sa liquidation en 1919 après la Première Guerre mondiale.
À Berlin, le collectif de Christian Kopp a été mandaté par la Ville pour cartographier les vestiges du passé colonial de la capitale, organiser visites guidées et expositions. C’est par exemple à Berlin que les Européens lancés à la conquête de l’Afrique ont délimité leurs aires d’influence en 1885.
La démarche s’inscrit dans une politique mémorielle inédite, dotée d’un budget de trois millions d’euros. «Nous souhaitons mettre en évidence les structures de domination issues de la période coloniale», affirme l’adjoint à la Culture, Klaus Lederer. Plusieurs rues, qui portaient jusqu’ici le nom de colonisateurs allemands, ont été débaptisées. La municipalité prévoit de bâtir un mémorial national aux victimes du colonialisme allemand au centre de Berlin. Plus visible qu’une petite plaque au fond d’un cimetière.
Restitution d’objets pillés
L’Allemagne a entamé, en parallèle, une timide politique de restitutions d’objets pillés. Le fouet et la bible du chef Nama Hendrik Witbooi, exposés dans un musée de Stuttgart, ont été rendus à sa famille en 2019. Quinze crânes et ossements de Hereros et Namas, conservés à l’hôpital de la Charité à Berlin, ont été restitués. Une démarche parasitée par l’ouverture, en juillet, du Humboldt Forum: espace de «dialogue des cultures» pour les uns, «Disneyland de la colonisation» pour les autres, le nouveau musée national d’ethnologie exposera 20000 œuvres africaines, la plupart issues de pillages coloniaux.